«Il est plus facile de traverser le désert et de se noyer dans la mer que de trouver du travail au pays.»
Entendu dans un car rapide
Gagner du temps par la roublardise
La question de l’emploi des jeunes se pose à notre pays depuis son indépendance. Le problème est que nos gouvernants ne s’en préoccupent que lorsqu’elle menace leur pouvoir. Car, pour eux, ne pose pas problème ce qui ne peut déstabiliser, ne pose pas problème ce qui ne peut déchoir. Et aussi préoccupante que soit une interpellation, ils l’ignorent si elle n’inquiète pas. Et les tragédies les environnent sans trop les émouvoir. Je pense notamment aux enfants qui pourrissent de corps et d’âme dans nos rues devenues des dépotoirs, aux jeunes qui préfèrent mourir en mer plutôt que vivre dans leur pays, aux vieillards exclus de la ville et de la vie, emprisonnés dans leur propre domicile, aux mourants sur les grabats des hôpitaux, etc. Dès lors le seul souci des tenants du pouvoir chez nous n’est pas de régler les problèmes du Peuple, mais de se perpétuer, de toujours gagner du temps. Comme s’ils ne savaient pas que le temps toujours s’échappe, que Cronos toujours dévore ses enfants. Ainsi leur peine sera non pas de changer les choses, d’améliorer la vie des populations, mais de recharger les cœurs d’espoir comme on recharge une batterie de téléphone portable, sans jamais assouvir la faim véritable. Or cela s’appelle d’un nom : roublardise.
D’alternance à alternance, on tourne en rond
Hélas, il en est de même d’une certaine opposition qui bave d’envie de conquérir et de jouir du pouvoir. Et les mêmes travers partout et toujours s’observent. Et d’alternance à alternance, on piétine, on tourne en rond. Les mêmes questions reviennent. Les mêmes solutions sont proposées. Les mêmes discours sont ressassés. Les mêmes dénonciations faites. Les mêmes combats repris… Et l’on s’étonne que quelqu’un puisse changer son discours, non par conviction, mais selon sa position du moment vis-à-vis du pouvoir. Ainsi le débat politique est d’une grossièreté et d’une platitude effarante ; et les virevoltes et les invectives sont devenues récurrentes. C’est pourquoi, quand le Président a mobilisé autour de la question de l’emploi, en réponse aux émeutes de mars, comme Wade lorsque son pouvoir fut secoué, comme Diouf et comme Senghor, après la déclinaison de sa feuille de route et ses mises en garde quelque peu inopportunes devant Idy tout doux et Youssou tout miel, Mimi toute fiel a osé dire son avis, cependant que Abc le «coup-de-coudait» en toute fraternité. La veille déjà, le patron des Patriotes, qui avait menacé d’une deuxième vague d’émeutes plus destructrice, décriait l’initiative et faisait de méchantes révélations sur le Rewmiste en chef qu’il accuse d’indignité pour avoir retourné sa veste. Les jeunes camarades de ce dernier, après un démenti tout aussi virulent, lui demanderont de plutôt dire ce qui s’est réellement passé dans le salon de massage. Mame Mbaye Niang l’accusera de délinquance sexuelle et de perversité, non sans avertir, à l’instar du Président, que le pouvoir ne laissera plus faire. Lui-même sera traité d’âne. Et les insultes de pleuvoir… Or, depuis plusieurs années déjà, le Sénégal s’enlise, et, je ne dis pas le chômage, mais l’oisiveté et les palabres ainsi que les vices qu’elles charrient, désespèrent la jeunesse sans trop émouvoir. Notre environnement se dégrade. Notre espace vital se rétrécit, comme peau de chagrin. Notre capitale, défigurée et puante, se meurt. Nos ressources sont pillées…
Consommateurs de tout et producteurs de presque rien
En vérité, la question est toute simple, chaque Sénégalais en fait l’expérience tous les jours à travers sa consommation, de son réveil à son coucher, de sa tête à ses pieds. Je ne parlerai pas des armées de sans-métiers ni des chômeurs et célibataires à vie. Je rappellerai seulement que nous sommes consommateurs de tout et producteurs de presque rien. Et l’on se demande, à juste titre : comment créer des emplois sans production de biens économiques, sans production industrielle, «pas même la plus petite aiguille», comme certains en rient depuis l’indépendance ? Comment créer des emplois au moment où notre production agricole en mangues, melons, oranges et tomates pourrit dans les champs ? Comment créer des emplois au moment où nos produits halieutiques sont pillés et nos pêcheurs artisanaux réduits à la misère, au moment où nos éleveurs sans pâturage jettent par terre le lait collecté pour en faire aliment de bétail ? Au moment où nos artistes sont oubliés et où nos artisans, concurrencés par les produits d’importation et abandonnés à leur sort, ne songent plus qu’à survivre ? Au moment où la formation professionnelle piétine, où l’université perd sa crédibilité ? Au moment où l’on crache sur la créativité et la compétence et où l’on chante la débrouillardise, la ruse et l’affairisme ? Au moment où, comme dit l’autre, il faut être apte à la bêtise et/ou à la reptation pour se faire une place au Sénégal ?
Le mal est plus profond qu’on ne le pense
Hélas, hélas, le mal est très, très, très profond. Plus profond que ne le soupçonnent nos gouvernants qui ne fréquentent plus nos villages enclavés, nos quartiers populaires, nos dispensaires, nos cars rapides et nos calèches. Qui ne savent rien de ce que vit le Peuple, de ce que pense le Peuple, de ce que souffre le Peuple. Rappelons, entre parenthèses, que c’est l’ignorance de ce que vivent réellement les Sénégalais qui a perdu Diouf, tout comme l’ignorance ce qu’ils pensent a perdu Wade. Aujourd’hui, hélas, on observe du côté du pouvoir le même éloignement des réalités : le même fossé se creuse entre lui et le Peuple. Bref, non seulement on n’offre pas d’emplois décents et durables à la jeunesse, mais on la prive aussi d’éducation, d’espaces de détente et de loisirs sains. On vend les terres du littoral et les plages, devenues inaccessibles, comme on le fait des espaces de jeu dans beaucoup de quartiers de la capitale et d’ailleurs, comme avec le stade Assane Diouf qui était l’arrière-cour de Reubeuss et Niaye Thioker. Les centres culturels dépérissent. Le théâtre populaire se meurt. Les arts et les cultures urbaines battent de l’aile. Les salles de cinéma ont fermé leurs portes depuis belle lurette. Le mouvement Navétanes a perdu sa dimension culturelle et, de même que la lutte traditionnelle, est menacé par la cupidité et la violence. La télévision, Facebook et Whatsapp sont les uniques espaces de détente qui restent à notre jeunesse (celle qui en dispose). Sans oublier les jeux de hasard, la drogue et le banditisme. Et aussi la politique qui, pour le plus grand nombre, est, elle aussi, devenue un passe-temps ou un métier ou un raccourci vers un enrichissement rapide pour ne pas dire illicite. Et la jeunesse désœuvrée et souffrante s’ennuie à en mourir dans nos quartiers où elle s’invente les occupations qu’elle peut…
Protéger nos mers, nos espaces agricoles et nos pâturages
Il faut donc, en ce qui concerne l’emploi, nous occuper d’abord de ceux traditionnels de plus en plus abandonnés par les jeunes, parce que n’offrant pas de perspectives d’avenir, en les protégeant, en les modernisant quelque peu et en accompagnant et renforçant les petites industries de transformation. Il s’agit de l’agriculture, l’élevage et la pêche. Sans oublier les artisans : tisserands, bijoutiers, cordonniers, maroquiniers, etc. Car l’abandon des métiers traditionnels familiaux non valorisés renforce l’exode rural et le chômage. Et (il faut le rappeler) lorsque les agriculteurs, pêcheurs, éleveurs et autres artisans traditionnels perdent leur emploi, c’est que la situation est critique. Sans oublier non plus les menuisiers, mécaniciens et acteurs du secteur dit de l’informel : marchands ambulants, pêcheurs côtiers, apprentis-coxeurs, gargotières, lavandières… Il faut ensuite renforcer le commerce et la grande industrie, ainsi que les métiers liés au bâtiment et à l’aménagement urbain… Il faut surtout travailler à la dépolitisation des politiques publiques, à l’amélioration de l’image des institutions d’insertion économique et à l’appropriation des programmes et mécanismes par les bénéficiaires. Au renforcement du civisme, de la citoyenneté et de l’éthique dans l’Administration et partout chez nous. Nous y reviendrons, s’il plaît à Dieu.
Abdou Khadre GAYE
Ecrivain, président de l’Emad
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