Micro’Ouvert – Moctar Fofana, auteur de l’ouvrage «Le Veinard» : «La méritocratie laisse place à la magouille et au bras long au Sénégal»
Intégrer le monde professionnel au Sénégal demande parfois le «bras long». C’est le jeune étudiant sénégalais, établi en France et auteur du livre «Le Veinard», qui le dit. Dans ce premier roman, Moctar Fofana raconte l’histoire d’un jeune campagnard, Bouba, issu d’une famille modeste mais devenu professeur d’université malgré les vicissitudes de la vie.
Qu’est-ce qui vous a inspiré pour raconter l’histoire de Bouba, héros de ce livre ?
Je dois dire que je suis passionné d’écriture depuis mon enfance. Il me reste en mémoire que, quand j’étais au collège, j’avais commencé à faire le récit de ma vie. Mais, puisque je n’étais pas trop inspiré à l’époque, j’ai arrêté la rédaction. A cela s’ajoutent les articles que j’écris souvent mais qui ne sont jamais publiés. Maintenant pour répondre à la question, je dirais que j’ai pu réaliser cette belle fiction qui retrace l’itinéraire scolaire, universitaire et socio-professionnel de Bouba par mon vécu dans une bourgade et aussi à travers ce que j’ai pu observer dans nos sociétés traditionnelles. Le récit de Bouba rappelle aussi certains comportements sociaux désinvoltes et je m’y suis penché pour interpeller la conscience des gens, pour dénoncer certaines pratiques et s’armer d’une nouvelle mentalité. Ce récit n’est pas produit ex-nihilo pour se faire un nom. Mais, plutôt pour porter un regard critique sur certaines pratiques dans nos communautés, jusqu’au sommet de l’Etat et y remédier. A travers également l’histoire de Bouba, j’ai voulu mettre en exergue certaines valeurs dont l’homme doit s’imbiber. C’est donc tous ces facteurs qui ont été la source de mon inspiration.
Il y a un conflit entre l’école française et l’éducation religieuse. Pourquoi selon vous certains parents refusent toujours d’envoyer leurs enfants à «l’école des blancs» comme vous l’écrivez dans le livre ?
Ici, d’abord, il ne s’agit pas de porter un discrédit sur l’éducation religieuse, ni d’avoir un sentiment de dédain à l’égard de l’enseignement islamique, mais plutôt de montrer la nécessité, de nos jours, d’allier les deux écoles pour diversifier les connaissances et acquérir ce que j’appelle un peu «le savoir complet» en ce sens que l’une peut nous permettre d’avoir l’au-delà et l’autre l’ici-bas. C’est notre monde qui l’exige et nous ne devons en aucun cas rester en rade. Mais, en se rendant à l’évidence aussi, il faut oser dire que certains parents, dans certaines contrées, pensent toujours que l’école française prédispose les enfants à délaisser l’éducation religieuse et, en conséquence de quoi, ils deviennent iconoclastes et piétinent toutes nos valeurs, piédestal de notre existence commune. «L’école des blancs» est considérée par ces parents comme le chemin de la déroute et du dévoiement. Or, on a vu le nombre de personnalités publiques dans notre pays ayant fait les deux écoles et qui sont comme des perles en termes de savoir cumulé.
Pourquoi le choix du titre «Le veinard» mais aussi de la photo de couverture avec ces trois enfants campagnards ?
Il suffit juste de feuilleter le contenu du livre pour comprendre le choix du titre. En effet, trois raisons fondamentales l’expliquent : d’abord, l’implication de l’inspecteur Dème dans la scolarisation de Bouba, chose qui n’est pas donnée à n’importe qui, obtenue à l’arrachée. Puis le fait qu’il a été le seul enfant scolarisé et instruit de tout un village, chose rare, et enfin son parcours radieux et enviable sans nulle tache de l’élémentaire à l’université, non sans oublier son insertion rapide dans le monde socio-professionnel en devenant professeur d’université en un temps record. Par rapport aux trois images sur la couverture, elles parlent d’elles-mêmes. Elles sont le reflet de l’accoutrement d’un écolier et d’un talibé-errant.
«Le Veinard» est certes une fiction mais il parle d’une réalité, à savoir les difficultés dans les universités sénégalaises telles que le retard des bourses, l’insuffisance de livres dans les bibliothèques…
C’est une fiction qui se rapproche et nous rapproche de la réalité. C’est un roman qui dénonce, qui s’adresse aux gens et principalement aux autorités publiques universitaires et étatiques dans la deuxième partie consacrée aux études universitaires de Bouba. Egalement cette partie dans le livre met à nu toutes les difficultés auxquelles les étudiants sont confrontés à Dakar et surtout ceux venant des régions et qui n’ont pas de parents à Dakar encore moins des soutiens, et certains problèmes socio-pédagogiques qui prévalent dans les universités tels que les bourses, le logement, la documentation, etc. Il dénude également dans la foulée, le manque criant d’ouvrages dans les bibliothèques qui est un frein pour la bonne documentation pour les recherches… Cette partie rappelle fidèlement aussi les conditions d’enseignement-apprentissage qui demeurent toujours problématiques dans nos universités : les grèves récurrentes des professeurs en revendication de leur dû et celles des étudiants, centrées principalement sur les bourses pour lesquelles il faut qu’ils se battent avec les Forces de l’ordre, occasionnant parfois mort d’homme, pour voir les autorités réagir, pour enfin obtenir gain de cause. Moment crucial que choisissent d’autres politiques pour démasquer les carences dans la politique éducative de l’Etat du Sénégal. Dans cette partie, il est montré que la méritocratie laisse place à la magouille et au bras long pour entrer dans le monde socio-professionnel, un phénomène éclairé qui entache notre Administration.
Propos recueillis par Mamadou SAKINE
msakine@lequotidien.sn
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