L’art d’écraser les petites gens

Le cirque fou de la semaine dernière, accompagné de manifestations éparses, lors d’une audience de Ousmane Sonko et Mame Mbaye Niang pour un procès en diffamation, a eu, comme toute furie de la rue, ses dommages collatéraux. Bien de petites gens ont vu leurs échoppes brûlées, leurs cantines saccagées et leur gagne-pain détruit. Il faudra qu’on s’attarde sur le sort de ces citoyens lambda, tirant le diable par la queue, qui se trouvent pris dans le tourment des affrontements de nos politiciens et leurs hordes de pilleurs et casseurs.
Des Sénégalais lambda ont vu tous leurs biens partir en fumée. Des tenancières de gargotes ont été dépouillées de leur outil de travail, des commerces détruits. Quel est cet art de toujours affecter les Goorgoorlu et ceux qui se battent au jour le jour ? Quel est le projet politique de détruire des emplois précaires ou de survivance ? Il est ironique de se vouloir champion de la justice sociale en écrasant les petites gens et toutes les petites mains. Au-delà de dépouiller les gens de leur dignité en détruisant leurs biens, on les condamne à vivre des lendemains incertains qu’aucune promesse illusoire de politicien ne peut résoudre. Nous nous étions indignés de la folle joie de détruire les biens publics dans ces mêmes colonnes.
Je me plais ces jours-ci, avec tout le désordre qu’il y a dans notre pays, à lire La Maison du peuple de Louis Guilloux. Il y disait de façon prophétique en 1927, avant la Deuxième guerre mondiale, que tout individu avait une obligation avec la vérité. «Il faut dénoncer ce qui n’est pas juste. Dire la vérité est une tâche difficile, mais la seule digne d’un homme», soutenait Guilloux. Ces lignes doivent être lues à bien des gens sous nos cieux. Voir des gens à qui tout est dû, constater leurs espoirs anéantis par la furie de militants d’une quelconque cause politique, mérite que des centaines de maisons du peuple soient érigées pour tendre une main généreuse et compatissante.
Le ministre de l’Intérieur, Antoine Diome, s’est essayé à cet exercice en allant à la rencontre d’un jeune dont la boutique de téléphones a été mise à sac par des pilleurs. Il y affirmera que l’Etat sera ferme pour assurer la protection des personnes et des biens. Ce geste serait bien mérité par la tenancière d’une gargote à Keur Gorgui dont les larmes de désespoir après le passage des pilleurs sont devenues virales. Elle mérite aide et appui, car des gens comme elles, qui vivent à la sueur de leur front et à la peine de leur souffle, sont légion dans notre secteur informel.
S’il y a un art que ce pays a fini de maîtriser en tant que communauté nationale, c’est «l’art d’ignorer les pauvres», pour reprendre John Kenneth Galbraith, qui expliquait si bien le «processus par lequel, au fil des années, et même au cours des siècles, nous avons entrepris de nous épargner toute mauvaise conscience» au sujet des plus démunis. On est prêt à lancer une cagnotte pour acheter une voiture à des activistes ou payer les frais de Justice de politiciens prompts à l’outrage et la récidive, mais on est aux abonnés absents pour aider des propriétaires de petits commerces éplorés par la folie de nos politiques. Il ne manque pas d’instruments d’une solidarité populaire et citoyenne, encore faut-il s’obliger à le faire.
On ne peut croire en des politiciens qui font tout pour vider les gens de leur gage de dignité qu’est le travail. Il ne faut ménager aucun effort pour combattre tous ces imposteurs dont la misère des petites gens ne fait que nourrir les ambitions et leurs projets, pour au final décevoir les masses. Une connaissance me dit toujours que l’élite sénégalaise tout comme la société qui l’a enfantée ont toujours eu une logique prédatrice. Elle fait de la masse son marchepied, porte ses enfants tout haut, écrase tout ce qui ne converge pas avec ses intérêts. Bâtir un projet politique sur les ruines et les peines du petit peuple finit par être une mécanique bien ancrée. Les imposteurs qui savent si bien témoigner, sans avoir jamais été égorgés, s’enduisent des larmes du peuple au grand bonheur de leur projet funeste.
Albert Camus disait à Louis Guilloux dans une correspondance en date du 5 janvier 1946 : «Ce qui équilibre l’absurde, c’est la communauté des hommes en lutte contre lui. Et si nous choisissons de servir cette communauté, nous choisissons le dialogue jusqu’à l’absurde- contre toute politique du mensonge ou du silence.» Sur le chemin de la lutte contre ces marchands d’illusion qui ont fini d’humilier toutes les petites gens, nous ne nous lasserons pas.

Par Serigne Saliou DIAGNE – saliou.diagne@lequotidien.sn

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