Face aux feux, allumer la lumière de la pensée

Ngor, vendredi veille de la Korité. Du balcon, j’observe des enfants affronter les gendarmes avec une folle énergie. Ils avaient, à vue d’œil, entre 10 et 15 ans, et aux aurores de la vie, ils s’en prenaient déjà, avec une froide violence, aux Forces de défense et de sécurité qui, dans leur attirail propre au maintien ou au rétablissement de l’ordre public, ripostaient par des grenades lacrymogènes. Les enfants, dans un brouhaha où se mêlaient cris de joie et appels à la violence, ont brûlé des pneus, entretenu des braises en y jetant des morceaux de bois et couru lors des épisodes de charge pour semer les gendarmes dans ces ruelles imparfaites de Ngor.

On sentait une forme de jouissance dans la provocation du danger et l’affrontement avec les Forces de l’ordre qui représentent les institutions de l’Etat. Je me suis souvenu des images similaires d’il y a quelques mois à Touba, où des enfants de la République imposaient la terreur dans la ville sainte, détruisant magasins, stations-services et biens publics sur injonction d’adultes qui haranguaient ces foules dont la folie destructrice était à son paroxysme.
Sur fond de rassemblement politique interdit, ceux sur qui la Nation compte pour relever les défis du futur avaient fait le choix du chaos avec -et c’est ce qui m’interroge le plus- une joie communicative dans les actes de violence. Depuis les événements de mars 2021 durant lesquels le Sénégal a frôlé le pire, il y a une montée du «plaisir de foutre le feu» dans les villes à chaque fois que des circonstances politiques en offrent la possibilité. Ces épisodes guerriers ne viennent pas évidemment ex nihilo. Il y a une grande part de manipulation et d’instrumentalisation des colères sociales par des irresponsables politiques, une partie de la presse et des courtiers électoraux de la Société civile. Il y a aussi la volonté désormais évidente chez un grand nombre de personnes d’arriver au pouvoir par la sédition en dehors des règles démocratiques. Et enfin, et les autorités judiciaires l’ont récemment évoqué, des accointances existent entre des formations politiques et des mouvements irrédentistes.

Il ne faut pas non plus oublier les attaques répétées contre les institutions et ceux qui les incarnent pour mieux désacraliser la République et faciliter les attaques contre elle.

L’inquiétude doit être grande pour toutes les composantes du débat démocratique si des enfants, dans le cœur desquels doit être logé l’espoir sur la fabrique de sens et de rêves que constitue la République, s’en prennent pour un rien aux symboles du vivre-ensemble et de l’Etat, qui sont les garants de notre sécurité et de nos libertés.

Mes positions sont connues sur les dangers que représentent certains mouvements et leurs affluents pour la démocratie, l’unité nationale et la promesse républicaine, dans leur entreprise assumée de distillation de discours de haine vis-à-vis de la République pour la fragiliser. Mais le danger actuel dépasse ces partis, car il est logé au cœur de milliers de nos concitoyens qui ne croient plus au discours politique et ont décidé de ne plus reculer devant la violence pour arriver à leurs fins.

Un autre phénomène me semble peu pris en compte au regard de son importance. Il s’agit du conspirationnisme, entretenu et encouragé par internet et les mouvements populistes, qui gangrène les sociétés modernes et menace les équilibres. Aucun pays n’est épargné par cette vague qui s’affranchit de la vérité pour flirter avec les passions les plus tristes et obtenir des subsides divers. L’Etat du Sénégal ne lutte pas suffisamment contre la manipulation et la diffusion de fausses nouvelles grâce aux réseaux sociaux. Eu égard à la neutralité d’internet et conformément à la sacralité des libertés publiques, il est inconcevable de se lancer dans une entreprise répressive sans discernement contre les discours de haine, la diffusion de fausses nouvelles et les offenses contre certains corps de l’Etat. Il y a certes des opinions peu respectables, mais la prison n’est pas l’unique solution.

La réponse face aux menaces, à la violence, à la montée des haines n’est pas non plus uniquement économique. La hausse du budget de l’Etat, les infrastructures, les mesures sociales pour les ménages les plus précaires sont d’excellentes réalisations. Mais elles ne peuvent constituer une réponse définitive face à l’asthénie démocratique que notre pays vit. Face à la sophistication toujours plus éprouvée de la manipulation et de l’instrumentalisation des peurs et des incertitudes des pauvres et des jeunes et de tous ceux qui se sentent exclus par la promesse républicaine, il nous faut davantage affronter les menaces en agissant sur le sens commun et auprès des plus jeunes, notamment pour retisser un lien entre l’Etat et ses citoyens. Dans le court terme, les efforts de l’Etat pour garantir la sécurité des citoyens sont remarquables. Mais dans le long terme, il faudrait repenser nos modèles et donner un nouveau souffle à notre démocratie afin que l’Etat ne puisse plus observer ses citoyens uniquement comme des sujets sur lesquels s’exerce la rigueur du Code pénal, et en même temps que les jeunes Sénégalais ne soient plus convaincus via Tiktok, Twitter et Facebook que leur Etat est leur ennemi et qu’il défend les intérêts de la France.

Il nous faudrait une vision, un nouveau récit et un projet qui pourraient se résumer en un mot : éducation.

L’école est le fondement moral et spirituel de la République, dans son rôle d’élever le citoyen et de former son esprit civique. Si elle s’écroule, alors les germes actuels de violence donneront des fruits du chaos et de la guerre civile.
Par Hamidou ANNE
hamidou.anne@lequotidien.sn

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