Notre propension à créer des monstres

S’il y a une chose que le Sénégal ne cesse de montrer à la face du monde entier, c’est cette capacité inouïe à pouvoir créer des vedettes et donner une aura à tout. Cette force que nous, Sénégalais, avons de donner à toute chose venant de l’extérieur plus que son pesant nous mènera à notre perte. C’est bien dans ce pays que Cheikhou Chérifou, «l’enfant prophète», avait rendu des stades noirs de monde en 1999. Dix ans plus tard (2010 plus précisément), l’actrice indienne Pallavi Kulkarni, incarnant le rôle principal dans une série de Bollywood intitulée Vaidehi, aura des bains de foule entre l’aéroport de Dakar à Yoff et la Pyramide culturelle sénégalaise (Pcs) au centre-ville, dignes de l’accueil d’un chef d’Etat d’une nation alliée ou d’une Equipe nationale ayant remporté un titre majeur. Comment peut-on s’étonner donc qu’en cette nouvelle décennie, un avocaillon en la personne de Juan Branco, maître des salles d’audience de Twitter, vienne dans ce pays où se faire adulé est si simple, se donner des bains de foule et jouer à être important ? Tribune ne pouvait être meilleure pour un si mauvais acteur de prester en ‘à la vie dangereuse faite de défiance d’un Etat et d’outrage à des institutions. Une opportunité ne pouvait être plus grande pour un avocaillon qui n’a posé aucun acte juridique de qualité dans la défense de son client, Ousmane Sonko, à part un déferlement de monologues creux que seuls ceux qui aiment entendre incessamment le son de leurs propres voix ont le secret.
Le cirque en trois temps de Juan Branco au Sénégal, en commençant par son entrée illégale dans le territoire à son expulsion du pays, après son arrestation dans une pirogue à Rosso et sa ddétention à Rebeuss, a de quoi outrer à plus d’un niveau. Il a rarement été constaté des postures aussi condescendantes à l’égard de nos magistrats et acteurs de la Justice. Voir un petit Blanc dont l’âge ne dépasse pas les années d’états de service de nombreux de nos magistrats, chahuter un procureur de la République sans être inquiété et refuser de répondre à des questions d’un juge d’instruction du simple fait d’un biais de privilège d’un nouveau Tintin s’essayant à l’Afrique a de quoi révolter. Voir des avocats sénégalais émérites qui ne recruteraient pas un Juan Branco comme assistant juridique dans leurs propres cabinets pour reprendre le mot de Madiambal Diagne, se ranger derrière un junior sans fait d’armes, pour qu’il débite ses âneries en mondovision, a de quoi fendre le cœur. Constater que des journalistes couraient après un individu qui leur accorde à peine la parole à sa sortie de conférence de presse pour lui arracher quelques mots et faire le jeu de groupies surexcitées en dit beaucoup sur un état de complexe que bien des gens ont intériorisé sous nos cieux.
Les gens crient être des panafricanistes sur tous les toits, se jouent de discours pompeux sur la libération du continent, mais sont prompts à avaler toute la bave que dégouline un crapaud blanc. Des panafricanistes qui se donnent pieds et mains liés à un héros s’enduisant de graisse comme la condescendance et le complexe du «White Saviour» ne doivent pas être surpris, si le sort de leur champion politique est relégué en secondes priorités pour laisser la place à la quête de vedettariat d’un avocat français en mal de sensation.
Cette folle histoire Branco aura davantage révélé que même sous nos cieux, après plus de soixante années d’indépendance, le dernier des illuminés d’une ancienne métropole peut venir se pavaner en terrain conquis, piétiner l’honneur de notre Justice, manipuler à outrance une partie de la jeunesse, monter la dose d’adrénaline en jouant à cache-cache avec nos Forces de défense et de sécurité, avant de se faire ouvrir les portes du retour par pont aérien. Il trouvera de la matière pour pondre le récit d’un enfant gâté qui est venu passer une bonne récréation dans une arrière-cour soumise à ses caprices. Il prendra le soin de distribuer les bons rôles, donnera par moments des leçons et continuera à faire perdurer dans son obtus esprit, toute la rengaine d’une toute imminente mission de sauver des Africains qui s’essaient à de la démocratie et de la gestion d’un Etat.
Un homme d’affaires sénégalais me confiait sur un ton amusé qu’il s’accompagnait dans certains rendez-vous majeurs au Sénégal et un peu partout en Afrique, de collaborateurs et d’assistants blancs. Il dira que cette «cosmétique» a son rôle, dans la mesure où cela trouble les esprits et les force à donner du sérieux à ses initiatives et sa démarche. Il contait, très satisfait, de ce que lui faisait gagner le fait de se coltiner des collaborateurs de pays occidentaux pour faire face à ses propres frères, partout en Afrique. J’étais circonspect face à une telle approche, mais le Branco show, qui vient d’épuiser toutes les cartes du privilège blanc dans notre pays, me confirme qu’il a bien raison, si c’est la voie que nous choisissons tous. Il y avait depuis un certain temps, Les damnés de la terre de Fanon ainsi que Surveiller et punir de Foucault, sur ma table de travail que je devais parcourir de nouveau, aux souvenirs de travaux d’université. Après les aventures du Tintin de Rosso et tout l’outrage qu’a subi notre Justice en si peu temps, je n’aurais de meilleures lectures d’été sur les relations de pouvoir et l’analyse complexe de tous les traumatismes qui rongent les esprits des peuples colonisés.

Par Serigne Saliou DIAGNE / saliou.diagne@lequotidien.sn

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