Macky Sall, le dialogue pour refermer la déchirure

L’histoire dira un jour si le Président Macky Sall a eu tort ou raison de suspendre le processus électoral. Il m’a fait l’amitié de m’expliquer les raisons profondes de la lourde décision qu’il a dû prendre. Il en mesurait pleinement le risque pour sa propre image et le risque réel de tumultes politiques, et même sécuritaires pour le pays. Néanmoins, il a considéré que l’enjeu pour la défense et la préservation de la République, et la viabilité institutionnelle et démocratique en vaut la chandelle. C’est aussi une forme de courage. Mes échanges avec des acteurs de tous bords m’ont aussi permis de me départir d’un certain dogmatisme et de comprendre cette décision, douloureuse et sans doute lourde de conséquences. J’ai même manifesté une grande indulgence à l’endroit du chef de l’Etat en lui précisant me résigner à accepter cette situation. Je ne suis pas le seul dans une telle posture.

Tout le monde a pu observer la retenue, ou la prudence, on peut même dire la compréhension, peu habituelles en de pareilles circonstances, manifestées en chœur par des partenaires traditionnels du Sénégal comme les Usa, l’Union européenne ou des institutions africaines comme la Cedeao et l’Union africaine. Il est clair que Macky Sall est contraint et forcé d’en arriver à cette extrémité à laquelle le Sénégal n’était pas préparé. Cela est d’autant plus difficile qu’il ne le fait point pour lui-même, dans l’objectif de garder le pouvoir, de rester à son poste. Il piaffe assurément d’impatience de rendre le pouvoir à un successeur élu conformément aux règles et principes démocratiques.

L’Assemblée nationale, saisie par une proposition de loi portée par le Groupe parlementaire Wallu, va se prononcer sur la demande de report de l’élection présidentielle. Le report du scrutin devrait être logiquement acté, car on augure que la dynamique de la collaboration entre le groupe parlementaire de la majorité et les députés du Parti démocratique Sénégalais (Pds) lors de l’examen, la semaine dernière, de la résolution instituant une Commission d’enquête parlementaire, sera toujours de mise. Le texte permettant à l’Assemblée nationale d’ouvrir une enquête sur des faits supposés de corruption de membres du Conseil constitutionnel a été adopté par 120 voix contre 24. On envisage difficilement la possibilité d’un vote négatif du texte en raison de la configuration des forces à l’Assemblée nationale. Il restera toujours une incertitude quant à l’issue d’un recours en inconstitutionnalité dont l’éventualité est certaine. Les délais pour un tel recours vont courir avant que le Conseil constitutionnel ne se prononce. Quelle serait la situation si le Conseil constitutionnel retoque la loi ? Cela en rajouterait à l’imbroglio. Tout cela pour dire que, quelle que puisse être l’issue de la bataille procédurale, il s’avérera matériellement impossible de tenir le premier tour de l’élection présidentielle à la date du 25 février 2024. Alea jacta est.

Répondre au dialogue pour sortir de l’impasse
Que restera-t-il à faire ? S’accorder ou se voir imposer un nouveau calendrier électoral. D’où donc la nécessité absolue d’un dialogue politique. Dans une allocution solennelle le 3 février 2024 annonçant la suspension brutale du processus électoral, Macky Sall a invité les acteurs politiques et la Société civile à un nouvel épisode de dialogue. Le vent du dialogue auquel vient d’appeler le Président Macky Sall, souffle fortement et les rares acteurs politiques qui déclarent s’y opposer finiront par s’y rallier ou ils verront l’histoire se définir sans eux. Encore que ledit dialogue politique ne saurait porter que sur les limites d’un nouvel agenda électoral. Au demeurant, le juridisme autour de la situation politique actuelle ne permettra nullement de sortir le pays de cette impasse. Il faudrait prendre de la hauteur et avoir une posture politique et réaliste pour contourner les écueils qui se dressent, par la force des choses, sur le chemin de la marche du pays. Qui pourra rester sur ses certitudes et son dogmatisme pour occulter ou feindre ignorer une situation politique objective ?

Il faudrait sans doute veiller à ne pas trop alourdir l’agenda de ce dialogue. Autrement la mise en œuvre des conclusions qui en découleraient, pourrait prendre du temps et impacterait fatalement sur les délais pour l’organisation de l’élection.

Benno bokk yaakaar, le Parti démocratique sénégalais, la Coalition Idy 2024, comme celle de Aly Ngouille Ndiaye, entre autres, ainsi que de larges franges de la Société civile, seront au dialogue. Cela commence à faire du beau monde. A la vérité, la classe politique n’a pas d’autre choix que de prendre part au dialogue, et les décisions qui en découleront auront une certaine légitimité et s’appliqueront à tout le monde. Est-il nécessaire de rappeler que le 8 mai 2023, dans une chronique intitulée «Dialogue : le possible et l’impossible», nous prévenions Ousmane Sonko et ses partisans qui refusaient d’aller répondre au Dialogue politique convié par le pouvoir, que l’histoire s’écrira sans eux et à leurs dépens ou leur détriment. Ce sont les mêmes acteurs qui, une fois de plus, déclarent rejeter le dialogue pour chercher à imposer un rapport de forces dont ils n’ont pas les moyens de sortir vainqueurs. Voudraient-ils que des acteurs non politiques comme l’Armée finissent par imposer un ordre politique et institutionnel nouveau ? Le cas échéant, ils en pâtiront comme tout le monde, et ce serait jeter le bébé de la démocratie et du système institutionnel du Sénégal avec l’eau du bain. Ce ne sera sans doute pas étonnant qu’ils adoptent à nouveau cette propension au suicide collectif, car ils avaient déjà maintes fois appelé à un coup d’Etat militaire, notamment le 1er juin 2023. Ces incartades avaient conforté la nécessité de dissoudre le parti politique Pastef et devraient disqualifier ses responsables de toute compétition politique et électorale démocratique. C’est là qu’on peut légitiment avoir en travers de la gorge, l’acceptation par le Conseil constitutionnel de candidatures de personnes prônant des coups d’Etat militaires. De telles personnes n’ont indubitablement pas leur place dans le dispositif institutionnel et démocratique, et aucun compromis ou aucune compromission avec elles ne saurait être acceptable. La démocratie ne saurait s’accommoder de putschistes velléitaires.
Par Madiambal DIAGNE
mdiagne@lequotidien.sn

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