Réponse au Pr Serigne Ousmane Bèye

Professeur, j’ai lu, avec intérêt, votre texte publié sur Le Quotidien, ce 22 août 2024 : «Sénégal : Une société en délitement.» Mais permettez-moi, en toute humilité, d’y apporter quelques objections qui me paraissent, à mon niveau, importantes.

J’aimerais préciser d’emblée que je ne suis pas de Pastef, et que j’ai toujours été critique, sans être dans la critique facile et délibérée, à l’égard de cette formation politique. Les positions que vous avez prises, professeur, dans votre texte, m’obligent à réfléchir sur vos réflexions d’universitaire.

En lisant votre texte, je ne puis m’empêcher de déceler, dans votre analyse, une propension bien dangereuse de radicalité. Celle-ci, vous en conviendrez avec moi, est l’ennemie du scientifique, du chercheur. Celui-ci se doit toujours de relativiser. C’est une exigence méthodologique fondamentale. Le Pr Ismaïla Madior Fall disait, à juste titre, qu’un intellectuel, a fortiori un universitaire, doit être nuancé. Beaucoup de travaux scientifiques, quoiqu’intéressants, se sont fourvoyés, dans l’avenir, à cause de leur radicalité. On peut en citer, à titre d’exemple, celui qui déclara la «Fin de l’histoire», donc de l’avènement du «Dernier Homme», juste après l’effondrement du bloc soviétique. Les illustrations sont foisonnantes.

Si vous dites, radicalement, que l’Etat est en désagrégation, il y a lieu de s’attarder sur la signification du mot utilisé : «Désagrégation.» Celui-ci, sommairement, peut signifier quelque chose qui se délite, qui perd sa substance et sa forme initiales, pour ensuite disparaître. Nous serions, pour vous, face à un Etat qui perd tous ses leviers, pour un destin que même l’imagination éconduit. Dire que l’Etat du Sénégal, depuis l’avènement de Pastef à sa tête, est en train de se désagréger est une analyse excessive, hyperbolique, qui effarouche même les plus optimistes pour l’avenir de ce pays. Il y a de nouvelles orientations qui ont été ébauchées par le nouveau régime, ce qui est tout à fait normal quand viennent d’autres décideurs.

Sur la dislocation de la Nation, vous semblez imputer celle-ci aux nouveaux dirigeants, ce qui me paraît absurde. Ce n’est pas ceux qui sont venus récemment qui ont écorché, voire trituré notre tissu social. Il faut, pour parler vrai, remonter les causes dans les années Macky Sall. C’est lui, avec toutes les injustices qu’il a causées au Peuple sénégalais, qui s’est attaqué à notre vivre-ensemble, à notre Nation. Il me semble aussi que la fracture sociale n’est pas si profonde, comme l’imagineraient certains analystes dans leurs élucubrations. Il y a, certes, des événements d’une gravité exceptionnelle qui se sont produits dans ce pays, avec leur lot de victimes. Mais, avec une Justice réhabilitée -les familles éplorées doivent connaître les bourreaux de leurs fils pour enfin faire leur deuil- et une redistribution égalitaire des avoirs nationaux, ces blessures sociales peuvent être pansées. Notre société a d’incroyables leviers et de ressources culturels pour sauvegarder sa contexture, qui fait sa singularité.
On reproche toujours, avec virulence, aux partis populistes ou ceux considérés ainsi de vouloir, sciemment, s’opposer aux fondements de la société. Le populisme serait une menace pour la Nation, car il fait l’apologie de l’homogénéité au détriment des différences. Les populistes, peut-on dire, n’ont pas de sujet tabou ; ils parlent de tout, avec une extrême vulgarité. Les affiliations de ce parti avec le populisme, qui peut réellement être démocratique, ne font plus l’objet d’un doute. Mais est-ce qu’il veut chambarder notre structure et identité sociales ? Je ne le pense absolument pas.

La polémique qui a émaillé le port du voile est, pour vous, une manœuvre de ce parti, avec un Premier ministre en battledress, pour saper notre beau dialogue islamo-chrétien. La Nation sénégalaise ainsi se disloque, pour utiliser votre vocable. Par contre, me semble-t-il, ce débat n’est qu’une demande de notre laïcité, arrivée à un stade où ses principes fondamentaux doivent être rediscutés. Nous devons discuter, avec toutes les précautions qui siéent, sur cette question pour y apporter de solutions définitives, acceptées par tous. Eviter le débat, dans ce sens, reviendrait à accepter d’atermoyer le traitement d’une maladie qui, dans l’avenir, peut se montrer incurable.

En disant aussi que Pastef est un parti salafiste ayant pour but d’exterminer toutes les confréries, vous semblez bercer, peut-être de bonne foi, dans un vide rhétorique populaire et politicien, sans fondement. Le scientifique que vous êtes devrait vous pousser -je le pense, platement- à vous soucier de la rigueur des faits relatés. L’on sait que le salafisme, expression d’un islam radical qui prône une lecture littérale des textes religieux, est contre notre conception et sociologie de l’islam. Celui-ci, chez nous, on n’en disconvient pas, est compris dans son acception la plus ouverte, la plus tolérante : le soufisme.

Je n’ai pas lu ou vu quelque part, peut-être que d’autres ont eu cette chance y compris vous, ce parti clamer qu’il a pour but de déclarer la mort de nos confréries, véritables pilastres de notre société. Ces nouveaux dirigeants ne l’ont jamais dit ou écrit et, mieux, ils se sont toujours présentés comme d’authentiques citoyens-talibés. Je m’en garde de tout jugement de valeur.

Ce sont les quelques remar­ques que je voudrais, en toute humilité encore une fois, apporter à votre texte. Veuillez les accepter, professeur, en étant certain de ma déférence et de mes hautes considérations !
Baba DIENG
Etudiant en troisième année en Science politique
Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb)

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