Cheikh Mbow, Cosydep : «L’École n’a pas tiré les leçons du Covid-19»

Pour le Directeur exécutif de la Coalition des organisations en synergie pour la défense de l’école publique (Cosydep), le secteur n’a pas encore su décrypter tous les messages que lui a adressés la pandémie du Covid-19. Dans cet entretien, Cheikh Mbow constate une tendance baissière du budget d’investissement de l’éducation, malgré les injonctions du coronavirus, condamne la violence en milieu scolaire tout en indexant les responsables de cette situation et reste d’avis que l’Etat doit, avec plus de pragmatisme, solder les accords le liant aux enseignants.

Les syndicats se sont plaints des agressions subies par les enseignants dans leurs salles de classe. Comment réagissez-vous à ces évènements ?
La Cosydep condamne cette violence qui humilie les enseignants. L’Etat doit prendre des mesures vigoureuses contre toute forme de violence dans l’espace scolaire et universitaire. Il faut, cependant, faire remarquer que cette violence est l’expression d’une crise sociétale profonde. Une crise de l’autorité clairement établie. L’autorité religieuse, politique, coutumière, associative est défiée. Le parent, face à ses enfants, n’y échappe pas non plus.
Par ailleurs, l’école est concurrencée par d’autres instances non contrôlées. Il s’agit de la rue, des médias, des réseaux sociaux qui sont des «écoles ouvertes». En somme, ce qui advient aux enseignants est en réalité la conséquence de cette crise d’autorité qu’il faut adresser.

A qui pourrait-on attribuer la responsabilité de cette situation ? A l’école ou à la communauté ? 
Aux deux. D’abord à la communauté qui, avec les exigences de la quotidienneté et les transformations sociales, a très peu de cadres appropriés pour éduquer. Pire, nos enfants, face aux querelles des adultes, considèrent que le plus déterminé, c’est celui qui est le plus incendiaire, le plus violent, celui qui fait le «buzz».
Ensuite, à l’école, sous-système de la société, qui devrait être dans les conditions de remplir sa mission d’avant-garde face aux communautés.
En tant qu’acteur impliqué dans la régulation du secteur éducatif, on ne vous a pas trop entendu sur le débat autour de l’introduction de l’éducation sexuelle à l’école…
Oh que si ! D’abord, aux lendemains de la fameuse rencontre à Saly, entre le ministère de l’Education nationale, l’Unesco et le G7, j’ai été saisi au moins par trois organes de presse. Nous avions salué leur vigilance et leur courage. Nous avons été aussi rassurés par la mobilisation citoyenne qui a engagé les leaders religieux, coutumiers et associatifs. Nous condamnons toute tentative de promotion de contre-valeurs.
La Cosydep estime que les communautés sénégalaises ont déjà leurs approches et leurs réponses tirées de leurs traditions et de leurs religions. Notre position est claire, il faut veiller sur notre souveraineté en matière d’éducation, avec un système qui écoute plus et mieux le citoyen sénégalais qui en est le bénéficiaire et qui doit en être le commanditaire.
Ensuite, en revisitant notre «Livre blanc» de 2014, en contribution aux Assises nationales de l’Education, à la page 69, la coalition a posé la problématique de l’éducation aux valeurs. La coalition est persuadée qu’une application des conclusions des Assises et une vigilance permanente constituent la meilleure manière de nous prémunir de tout danger (dépravation des mœurs, émigration clandestine, banditisme, violence, …).
Un défi prégnant est la situation des «hors école» et les agressions des familles par des messages, des pratiques, des textes et images face à des enfants sans défenses solides. L’école devient doublement importante car elle est à la fois un cadre protecteur et un moyen pour accompagner la maison en renforçant l’esprit critique et les capacités de discernement des enfants.

Les organisations syndicales ont remis au goût du jour le non-respect par l’Etat des accords. Cette réaction ne découlerait-elle pas d’un manque de suivi correct ? 
Depuis plus d’un an, le monitoring des accords est paralysé avec la suppression du poste de Premier ministre. Avec cet arrêt, on est dans une situation de crise latente. Il n’est pas acceptable de ne pas entretenir le dispositif de suivi et de mise en œuvre de ces accords.
Le gouvernement doit faire preuve de plus de pragmatisme pour solder le passif avec les enseignants. Nous en avons assez d’entendre le refrain «Accords non respectés». Nous devons dépasser cette question définitivement. Les grandes vacances doivent être sérieusement mises à profit. Sans un système pacifié, on ne peut absolument rien construire de solide.
Je rappelle que, dans le contexte du Covid-19, beaucoup avaient la possibilité d’opter pour le télétravail, les fonctionnaires (forces de sécurité, travailleurs de la santé et enseignants) ont été contraints de prendre des risques, sans un dispositif de protection complet. Le Covid-19 aura suffisamment rappelé l’exigence d’une véritable revalorisation des agents de la Fonction publique. Le premier signal serait de respecter les engagements en cours, de diligenter leurs dossiers.
Après un an de prévalence du Covid-19, l’école a eu une année sans perturbation majeure. Pourrait-on s’attendre à de très bons résultats cette année ?
Quatre principaux éléments ont été mis en relief dans l’analyse des résultats de l’année dernière. Il s’agissait de la réduction des effectifs, de la mobilisation de tous les enseignants autour des candidats, de la réduction des programmes et du soutien de la communauté. Ces déterminants ne sont pas tous présents cette année. On ne dispose pas donc de raisons pour prédire de très bons résultats. Nous craignons de ne pas pouvoir maintenir les résultats de l’année passée mais plutôt de retourner aux taux habituels de moins de 50% qui nous éloignent des 80% nécessaires à un système performant.
Pourtant, cette année devrait, non seulement permettre de renforcer la résilience du système mais aussi de résorber les nombreux gaps (déficit en infrastructures, équipements, personnels, quantum horaire, …). Mais on s’est rendu compte qu’il n’y a pas eu de corrections majeures sur notre réseau scolaire en lien avec les injonctions du Covid-19. Il y a 40% d’entre les écoles qui ne disposent pas de blocs sanitaires, 2/3 des écoles n’ont pas d’eau potable ; une école sur deux n’est pas sécurisée. Donc, la question de l’environnement des apprentissages se pose (eau, assainissement, sécurité), en plus de la tendance baissière du budget d’investissement : 50 milliards en 2019, 38 milliards en 2020 et 22 milliards en 2021. C’est comme si on n’était pas décidé à mettre aux normes l’environnement des apprentissages.
Le report des dates des examens scolaires a été acté par les tutelles. Sous­crivez-vous à ce report ?
Nous avons une année particulière qui a démarré en novembre. Plusieurs enseignants craie en main et des candidats ont sollicité les autorités pour repousser les examens en disant : «Si nous voulons faire de meilleurs résultats, il fallait repousser la date des examens.» Puisque la demande émane des acteurs, nous en prenons acte.
Evidemment, cela va avoir comme conséquence des examens en hivernage. Ce qui exige un état des lieux de la tenue des examens de l’année passée. En tirer les leçons pour mieux adresser les examens de cette année. Cartographier les écoles inondables pour identifier les potentiels centres d’examen. L’accompagner d’un dispositif de communication pour la préparation psychosociale des candidats et de leurs enseignants. Renforcer le dispositif de sécurisation du processus des examens (fuites, fraudes, erreurs). Cette situation qui se répète invite à reconsidérer le calendrier scolaire et à corriger conséquemment l’état de notre réseau scolaire.
Plus de 184 mille enfants n’ont pas d’extrait de naissance, ce qui les prive du coup de  composer au mê­me titre que leurs autres camarades. Quelle réfle­xion cette situation vous inspire-t-elle ?
Cette problématique doit être adressée de manière définitive. En 2021, le Sénégal devrait dépasser ces questions d’état civil : un enfant sans pièces d’état civil n’existe pas juridiquement. Aucune planification rigoureuse ne peut se faire sans une maîtrise de la démographie. Plusieurs initiatives ont été éprouvées. Il reste que l’Etat doit prendre cette question à bras-le-corps pour définitivement la vider.
Il est regrettable que la question se pose chaque année, à pareil moment. Nous considérons que les audiences foraines ne sont pas une solution structurelle. Nous avons les moyens de résoudre ce problème en exploitant toutes les opportunités offertes par la digitalisation et le numérique. Prenez l’exemple des services de transfert d’argent, de paiement de factures, de réception de bulletin de solde via e-solde. Donc avec une ferme décision de la part de l’Etat, notre pays peut définitivement adresser cette problématique qui a trop duré. Il est venu le temps de la régler définitivement. Les moyens existent, il faut juste de la volonté.
Propos recueillis par Mamadou T. DIATTA

 

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