Horizon – Boutikou Laye, rappeur : «Le rap sénégalais est beaucoup plus nul aujourd’hui»

«Boutikou Laye», de son vrai nom Abdoulaye Thiam, semble être la nouvelle sensation du rap sénégalais. Par ses textes engagés qui font le procès des maux de la société sénégalaise, il a su se frayer un chemin dans le cœur des mélomanes. Après presque dix ans de carrière, le succès qui frappe à sa porte n’est qu’un juste retour des choses.

Propos recueillis par Amadou MBODJI – D’où vous vient ce nom d’artiste, Boutikou Laye ?
Boutikou Laye, parce que je suis un vrai boutiquier. Je tiens la boutique de ma mère. J’ai commencé le rap avant la boutique qui se trouve à la devanture de ma maison familiale à Kaolack. La boutique me permet de connaître le mode de vie des Sénégalais et leurs préoccupations. Quand je ne fais pas mes activités, le hip-hop, je me consacre à la boutique qui est un espace de rencontres, un baromètre pour connaître les préoccupations de chaque maison à travers un de ses membres qui vient faire ses emplettes dans la boutique. Comme ma musique c’est ma passion, j’ai commencé à faire mes chroniques selon l’actualité à partir de la boutique et je les partage avec les Sénégalais. J’ai pris le nom de Boutikou Laye pour le valoriser.

En vous mettant dans la peau d’un boutiquier-rappeur, quel message vouliez-vous lancer ?
Il y a une chose qui m’a motivé à rester à la boutique, c’est que l’industrie musicale surtout ne marche pas. C’est pourquoi j’ai décidé de consacrer du temps à cette boutique qui est ma passion. Ce qui me motive à être dans cette boutique, c’est de pouvoir conscientiser la jeunesse. Je constate qu’il y a des jeunes qui délaissent leurs études, leurs métiers pour se lancer dans le rap. C’est un pari risqué. J’ai voulu à travers la boutique que j’incarne, montrer aux jeunes l’importance de trouver un métier à côté, pour ne pas être trop dépendant de la musique. Plusieurs choses se passent dans la boutique et cela me manque vraiment, maintenant que je suis basé à Keur Massar. Mais à chaque fois que je viens à Kaolack, j’en profite pour reprendre mes activités, donner un coup de main à ma mère. C’est de là que je tire mon expérience.

Qui vous a le plus influencé pour être rappeur ?
J’écoutais les old school (Ndlr : La vieille école) au Sénégal. J’écoutais les Daddy Bibson, Gaston, Daara J Family, Maxy Crazy, Keur Gui, etc. J’ai été toujours fan de hip-hop à travers les grands. J’aime écouter les choses utiles, qui peuvent me faire avancer. Si tu n’as pas la connaissance, tu ne pourras pas faire du rap. Il faut être un rappeur cultivé, avec un bon niveau et qui a une connaissance de l’actualité. Je fais un rap engagé parce que je veux contribuer à développer mon pays. Et j’écoute aussi de la musique qui me fait avancer. Pour moi, le vrai sens du hip-hop, c’est la révolution et cela appelle à se ressourcer, être imprégné de ce qui se passe. Ça appelle un certain niveau de connaissance. On ne peut se lever un jour, pour dire qu’on fait du rap. Je fais du rap engagé pour aider mon peuple à suivre la meilleure voie. Il faut adopter une démarche qui consiste à se mettre au niveau des jeunes pour les conscientiser. Mais aujourd’hui, l’évolution du rap suit une tendance portée vers le folklore. Ce qui est important, c’est le contenu. Je suis polyvalent et je peux rapper sur n’importe quel genre de musique. Je tiens un langage de vérité dans mes textes. Je veux contribuer au développement de ce pays, c’est l’une des raisons qui m’a poussé à faire du rap. Et je ne peux que le prouver à travers le travail que je fais.

Comment jugez-vous le rap sénégalais à l’heure actuelle ?
A l’heure où nous sommes au Sénégal, si la chanson n’éveille pas, je pense qu’elle n’a pas d’utilité. Le contenu doit être important avant tout autre chose. Dans mes chansons, je ne cherche qu’à dire la vérité, rien que la vérité. La chanson ne doit pas suivre une tendance qui mène vers le folklore. Si j’avais peur de dire la vérité, je n’atteindrais jamais l’objectif que je me suis fixé qui est de participer à l’éveil des consciences.
Les chansons devraient avoir de l’utilité pour ceux qui les consomment. Je n’hésiterai jamais à dire la vérité, même si on me tue après. Je suis dans le rap galsen.
Aujourd’hui, il y a plus de studios, de salles de spectacles et de Mc, les cachets sont beaucoup plus consistants, mais le rap est beaucoup plus nul. C’est un constat que j’ai fait, un avis personnel. La musique peut être valorisée parce qu’on a plus de beatmaker. On n’écrit plus comme le faisaient les Xuman, Keyti ou Keur Gui. Mais pourtant, c’est aujourd’hui qu’on devait être capables de faire de bons sons, mais le contenu est nul. On a besoin de rappeurs engagés pour orienter le Peuple dans le bon sens. Chacun se lève pour dire qu’il est rappeur (Rire). Il n’y a plus de contenus, c’est le folklore qui est mis en avant. On voit des vidéos à coups de millions, mais avec des contenus nuls. Rares sont les rappeurs qui prennent leur engagement pour participer à l’éveil des consciences.

Avez-vous déjà un album disponible ?
Je n’ai qu’une mixtape de 14 titres, faite à Kaolack en 2014 et que j’ai réalisée avec mon groupe SL (Silva et Laye), 100 degrés. Mais je suis en studio présentement pour faire l’enregistrement d’un nouvel album. C’est un album pour la sauvegarde des valeurs au Sénégal, pour restaurer les valeurs, pousser les gens à revenir vers le droit chemin. On travaille avec nos maigres moyens pour mettre en œuvre cet album. Il touche plusieurs thématiques, société, politique, religion. Nous tentons de le finaliser pour le proposer aux Sénégalais. Je n’ai pas la date exacte de la sortie par contre. Nous sommes en train d’y travailler avec le studio WordShap qui est à Keur Massar et Zik Buzz musique à Kaolack. Ce sont ces deux studios qui assurent l’enregistrement de cet album qui sera composé de 9 à 11 titres. Tous les titres seront en wolof, à l’exception de deux qui seront chantés en français.

Votre succès est assez récent, après dix ans de carrière. Vous avez une explication ?
Le Sénégal a ses réalités. Nous avions des difficultés pour passer dans les médias. Ce n’est qu’en commençant à faire des vidéos sur les réseaux sociaux que ma carrière a commencé à prendre son envol. Cela a coïncidé avec la Can 2019 où après chaque match du Sénégal, je faisais un titre basé sur les commentaires des uns et des autres sur le match des Lions du Sénégal. Actuellement, je suis en train de travailler sur un son destiné aux Lions. Ce sont des chansons que je compose et que j’offre gratuitement aux Sénégalais. Je suis confiant quant à une victoire du Sénégal à cette Coupe d’Afrique des nations (Can) qui se joue au Cameroun actuellement. Croisons les doigts.
ambodji@lequotidien.sn

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