Un de mes maîtres à l’Ecole nationale d’administration avait l’habitude de nous dire : «Dans le service de l’Etat il faut être un actif et pas un activiste.» La petite poignée de députés de la 14ème législature qui a organisé ce 23 février une manifestation devant les grilles de l’Assemblée nationale, aurait gagné à écouter ces paroles de ce vieux routier de l’Etat. Ces gens sont excessifs et confondent activisme et parlementarisme, or les deux n’ont pas la même nature ni la même finalité. Le Parlement de la République est une instance trop sérieuse pour qu’on y importe des pratiques enfantines d’agités de la rue publique. Il y a des pratiques issues des mouvements contestataires hors partis qui sont propulsées dans un espace dont la sacralité devrait pousser à faire preuve de mesure, de retenue et de hauteur. Dans les courants anticapitalistes, il y a plusieurs actions allant du happening aux opérations coup de poing pour heurter, alerter et déborder les pratiques classiques de la contestation. Les coups d’éclat y sont permis et peuvent même avoir une certaine utilité au regard parfois du caractère avant-gardiste des causes et des manières d’agir. Les militants des courants radicaux féministes, écologistes, Lgbt, anti-nucléaires ont parfois une manière de défendre les causes en privilégiant le choc des images et des propos au lieu du débat raisonnable et serein.
Ce qui est acceptable pour les activistes et militants hors partis, ne peut l’être pour des hommes et des femmes qui ont le privilège et l’honneur d’être des élus de la Nation, et qu’à ce titre, ils ne sont plus les députés d’une faction, d’une région, d’un clan ou d’un projet populo-salafiste. Ils sont les représentants légitimes de la Nation jouissant de la plus grande confiance en démocratie : celle de leurs concitoyens. Les députés du parti Pastef, qui sont à l’origine de ces enfantillages, devraient enfin s’en montrer dignes et s’élever à la hauteur des exigences du débat démocratique et de la République, notre allégeance commune, même si je me suis fait une religion depuis longtemps sur l’antirépublicanisme de ce parti.
Il y a près de dix ans, mon ami, le regretté Alioune Badara Cissé, et moi avions eu une discussion féconde sur la philosophie de la représentation, sur la sacralité du pouvoir à nous délégué et l’importance de véhiculer au cœur des institutions les préoccupations des citoyens dans le système d’une démocratie représentative tout en ne se séparant jamais de l’exigence du savoir, de la rigueur argumentative et de la mesure.
J’ai été consterné il y a quelques mois en voyant des députés arborer des brassards rouges dans l’Hémicycle. Ce après qu’ils ont désacralisé, par la bagarre, l’insulte, l’outrance et les excès, le lieu phare de la confrontation orale en démocratie. Ces actes de barbarie du 12 septembre 2022 resteront parmi les pires moments de notre histoire politique, coïncidant avec l’entrée pour la première fois au Parlement de dizaines de députés fascistes qui haïssent la République et ses symboles. Leur objectif est limpide. Ils cherchent par une entreprise résolue et méthodique à clochardiser les institutions de la République, en commençant par extraire de son cœur le débat argumenté et la dispute civilisée.
La démocratie est une aristocratie d’orateurs depuis la Grèce. Les élus de la Nation devraient rivaliser d’ardeur pour séduire, convaincre et persuader par la parole juste et la belle éloquence. C’est la parole qui doit monter haut dans le ciel de l’Hémicycle et non les coups, les bouderies et les sit-in pour «faire le buzz».
Un des organisateurs de la manifestation du 23 février devant le Parlement, justifie l’acte : «Nous avons jugé nécessaire de protester contre cette situation de dysfonctionnement, de léthargie, d’appeler à ce rassemblement pacifique devant les grilles de l’Assemblée nationale, pour dire aux Sénégalais que les représentants du Peuple sont ligotés, bâillonnés et ne peuvent pas exercer correctement leur mandat.» Un député a les moyens constitutionnels de représenter ses concitoyens avec dignité et pertinence. Un député de la majorité a le devoir d’aller au-delà d’un statut de laudateur de son chef et un élu de l’opposition peut s’affranchir d’insulter et d’arborer un brassard rouge ou de verser dans une ridicule manifestation de rue pour exister. Un élu de la Nation n’est pas un clown ni une bête de foire. Il faut cesser cette nouvelle attitude de ridiculiser notre pays devant les caméras du monde entier. Nous devons demeurer le phare de la démocratie en Afrique, un pays dont le champ politique est irrigué par les idées.
Un député est le représentant du Peuple, et rien n’est plus sacré en démocratie que de porter la parole et l’espoir des siens. Parfois je regarde le Sénégal et un grand état de tristesse me gagne ; je pense alors à cette phrase de Bernanos : «Il est dur de regarder s’avilir sous ses yeux ce qu’on est né pour aimer.»
Par Hamidou ANNE
hamidou.anne@lequotidien.sn
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