Le vide du pouvoir au Sénégal

J’ai récemment croisé un candidat à la Présidentielle dans la rue, la mise sommaire, le pas pressé et le regard hagard. J’ai eu une double peine. D’abord pour ce candidat ; pourquoi un homme qui visiblement n’a réglé définitivement aucun des besoins quotidiens qu’impose la vie aux adultes se déclare candidat à la plus haute fonction au Sénégal. Ensuite ma peine allait à notre pays qui en est arrivé à un tel état d’anormalité pour qu’un parfait inconnu se déclare avec tout le sérieux du monde à la Présidentielle et explique comment il va gagner car ses idées sont majoritaires.

Déjà, si pour 17 millions d’habitants, le pays compte environ trois cents partis politiques dont l’essentiel n’a jamais participé à une quelconque élection, il y a un souci. Un ancien Premier ministre disait : «Toutes les mouches qui volent ne sont pas des idées.» Nous assistons plus à une succession de bruits qui importunent notre quiétude qu’à la présentation d’idées et de programmes politiques capables de transformer le pays. N’importe qui se sent investi d’une mission pour créer une organisation et diriger les autres, fussent-ils trois. Le projet collectif n’est acceptable que s’il est en tête de peloton, le culte du moi, la tentation d’être chef. La soif déraisonnée du pouvoir, l’ego, la volonté de captation de quelques subsides, l’amour des ondes, font un terrible mélange qui annihile toute possibilité de lucidité et de conviction sur le vrai sens du politique.

Quand j’observe la course aux candidatures dont certaines sont tout de même très risibles, je me demande si réellement leurs auteurs savent le ridicule qu’ils inspirent aux citoyens. Il est dramatique de penser se vêtir du manteau d’homme ou de femme d’Etat préparé aux plus hautes fonctions, alors qu’en réalité, auprès de nos concitoyens, vous ne donnez que l’image d’un guignol qui, dans une fête, serait invité à rentrer et s’enfoncer dans un long sommeil qui souvent remet les idées au clair et calme les ardeurs que la nuit sait encourager.
En 1962, lors d’une conférence de presse, le Général De Gaulle disait du devenir du paysage politique français une fois qu’il l’aura quitté : «Ce qui est à redouter, à mon sens, ce n’est pas le vide politique, c’est plutôt le trop-plein !» Nous sommes dans le trop-plein au Sénégal, où le foisonnement des candidatures à chaque veille d’élection amuse, inquiète et surtout légitime de mon point de vue l’instauration du parrainage citoyen en 2018. Dans l’héritage politique du Président Sall, il y aura le parrainage que je considère être l’une de ses meilleures lois, même si l’on peut encore le parfaire.

La politique est une affaire trop sérieuse pour qu’on la pratique avec désinvolture. Une Présidentielle est, selon l’expression consacrée dans un régime calqué sur la Cinquième République française, le rendez-vous entre un homme et un Peuple. Ce n’est pas un défilé de mode ni une kermesse, encore moins un concours de petites phrases pour amuser et faire le buzz.

Une gouvernance ne peut être désarticulée du savoir, de la maîtrise de la profondeur historique d’un pays et d’une densité intellectuelle. On peut être universitaire et faire preuve d’incompétence et d’inculture et être un ouvrier comme Lula au Brésil, et avoir une luminosité intellectuelle foudroyante. Doit être choisi président de la République parmi les citoyens les plus cultivés d’un pays. Aspirer à diriger un pays c’est fourbir ses armes des années durant avec hargne, avoir des crédits politiques et techniques reconnus, garantir une dimension intellectuelle forte et prouver un sens aigu de l’Etat. Solliciter les suffrages des Sénégalais n’est pas une vanne de fin de soirée, c’est une grande responsabilité, une gravité et un sens accru du devoir qu’incombe la fonction présidentielle dont chaque décision a un impact sur des gens. Il est courant d’observer dans notre pays que certaines carrières politiques commencent par une déclaration de candidature à l’élection présidentielle. C’est ainsi faire preuve de légèreté et conforter tout citoyen averti sur la nature de plaisantin de l’impétrant.

A moins d’un an du scrutin de février 2024, les candidatures pullulent et cela va se poursuivre. Des journalistes qui n’ont jamais dirigé une rédaction aspirent à diriger un pays. Des chômeurs font de la déclaration de candidature le moyen de remplir leur agenda désert. Des fonctionnaires se découvrent une vocation et des jeunes pousses pressées pensent que la grandiloquence est un raccourci pour mener au Palais de l’avenue Senghor.
Quel triste temps il fait !
Par Hamidou ANNE  – hamidou.anne@lequotidien.sn

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