Le monde déréglé (au sens figuré et vieilli du mot, à savoir faire sortir de la règle morale, écarter du devoir) où nous vivons continue d’être effrayant par moments. Les événements dramatiques auxquels nous avons assisté cette année ne sont nullement rassurants : la guerre est redevenue une caractéristique fondamentale de notre époque, avec son lot de malheurs, de régressions et de dérèglements des structures du vivant, témoignant ainsi de notre incapacité à prendre à bras-le-corps les menaces qui nous guettent ; l’Europe, qui a cru avoir conjuré la guerre une bonne fois pour toutes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, voit aujourd’hui les détonations et la course aux armements (cette vieille folie de la Guerre «froide», considérée à tort comme morte et enterrée depuis que la fin de l’Histoire a été décrétée par l’Occident et ses intellectuels, mais qui prend aujourd’hui sa revanche sur le monde) remettre en cause les pilastres de sa civilisation ; avec le retour inédit de Donald Trump au pouvoir, les Etats-Unis d’Amérique, qui devraient avoir une sorte de légitimité morale et politique pour aider notre monde à relever ses défis mortifères, s’enlisent dans une folie inimaginable, rendant impossible toute possibilité de coordonner nos actions pour sortir du labyrinthe où nous nous sommes fourvoyés ; le péril climatique continue de nous épier sans que nous puissions avoir l’intelligence de dénicher des solutions efficaces et légitimes parce que concoctées par tous les passants de la Terre ; l’Intelligence artificielle progresse de manière spectaculaire et irradie nos vies sans que certaines régions du monde soient réellement armées pour vivre avec les chambardements qu’elle entraînera inéluctablement dans tous les domaines ; l’Etat hébreu, soutenu par ses alliés occidentaux traditionnels (quoique certains d’entre eux ont commencé à se désolidariser de son projet de colonisation de la Palestine) persiste dans son ambition éhontée de massacrer les Palestiniens dans l’indifférence quasi totale de la Communauté internationale (ou de la scène internationale) ; le monde arabe, avec ses démonstrations de violence et de sectarisme et de barbarie, se noie davantage dans la haine de soi et de l’Autre, accentuant le dérèglement du monde ; les grandes puissances manifestent par tous les moyens leur désir de faire la guerre avec leurs ennemis, créant ainsi les conditions propices pour que l’on assiste au «combat final et décisif» entre les colosses ; la nouvelle Première ministre japonaise, Sanae Takaichi, qui veut réarmer son pays après plusieurs décennies de désarmement «imposé» par les Etats-Unis au sortir de la défaite d’août 1945, risque de favoriser une guerre entre l’Archipel et l’Empire du Milieu, ce qui, inéluctablement, ne manquera pas de bousculer les équilibres déjà fragiles de notre monde. Ce sont, entre autres, ces défis qui menacent d’anéantir toutes les prouesses spectaculaires que l’Humanité a accomplies au cours des siècles précédents. On peut aisément constater, hélas, que nous ne faisons pas grand-chose pour nous prémunir contre les périls qui nous guettent.
Dans l’Ouest africain, qui devient de plus en plus le bastion du terrorisme international, les jihadistes bivouaquent partout au nez et à la barbe des autorités militaires. Les armées régulières, squelettiques, ont montré toutes leurs limites face à la montée irréversible de ces entrepreneurs de la violence et de la mort, qui mènent avec efficacité un travail de sape contre la société de Droit et la laïcité. Au nom d’un islam fondamentaliste. Les pays de l’Aes, où les militaires ont arraché le pouvoir politique aux civils pour restaurer la sécurité que ceux-ci auraient sacrifiée à cause de leur incompétence, continuent de se livrer les pieds et poings liés aux jihadistes. Lesquels gagnent massivement des territoires et des récits et des espérances. La gouvernance de ces pays, qui ont quitté la Cedeao du fait de certaines décisions contestables de celle-ci, est on ne peut plus inquiétante pour l’avenir de la démocratie dans la partie septentrionale du continent. Ou même celui de l’Etat que la doxa considère comme une entité politique qui revendique, dans l’exercice de ses fonctions régaliennes, le monopole de la contrainte physique légitime. Les chefs d’Etat en treillis, plus avides de pouvoir et plus incompétents que les civils, ont décidé de rester indéfiniment aux affaires, trahissant ainsi toutes leurs promesses de retour à l’orthodoxie constitutionnelle. Au Mali, au Niger et au Burkina Faso, les putschistes se sont donné des mandats politiques par la seule force des baïonnettes, pour continuer de roupiller allègrement dans les palais présidentiels. A défaut de solutions pour leurs peuples (ils sont incapables d’assurer le gouvernement d’un pays), les militaires s’appuient sur une antienne nationaliste et un rejet violent de la France. Cette stratégie simplette et irresponsable a montré qu’elle n’a pas d’avenir, qu’elle est vouée à l’échec, car il est impossible de gouverner avec des slogans et de la haine. Cette politique d’autarcie est aussi suicidaire, car combattre le terrorisme, qui est en train hélas de tambouriner nos portes, exige la trouvaille de solutions concertées et efficaces.
L’actualité de notre pays aussi, au cours de cette année qui vient de s’écouler, n’est guère rassurante. L’alternance spectaculaire de mars 2024 n’a pas encore tenu toutes ses grandes promesses. Depuis l’accession au pouvoir des révolutionnaires souverainistes, l’économie de notre pays est au fond du gouffre. Tous les secteurs sont subitement devenus atones du fait d’une cascade de décisions impromptues et arbitraires prises par les nouvelles autorités. L’année écoulée laissera un souvenir douloureux dans l’imaginaire de nos compatriotes, qui ont vu leurs maigres acquis remis en cause par un pouvoir brutal et hésitant. Les politiques à tâtons de nos gouvernants, qui sont venus aux affaires les mains vides et le cœur rempli de haine et de ressentiment, ont fait que notre économie est semblable à celle d’un pays fraîchement sorti d’une guerre ou d’une autre calamité. D’une manière générale, on retiendra que la déclaration cataclysmique du Premier ministre sur les chiffres «falsifiés», le 26 septembre 2024, a été le point de départ de la descente aux enfers de notre économie. Cette polémique, qui est en train d’être rangée aux oubliettes contre toute espérance, a empoisonné les esprits de nos partenaires techniques et financiers, et surtout ceux de nos compatriotes. Les conséquences ne se sont pas fait attendre, et nous (la populace) payons le tribut à la nature, à la mort du fait de cette folie du chef du gouvernement. Qui, dans ses agissements, continue de prêcher le misérabilisme et d’enterrer nos dernières espérances. Les croisades contre nos libertés ont rythmé l’année écoulée. Plusieurs de compatriotes ont été arrêtés pour des vétilles (l’utilisation du mot «gougnafier» a valu à Moustapha Diakhaté un séjour carcéral, figurez-vous) et jetés dans les geôles ; nos dirigeants, qui sont de fait des écorchés vifs, font preuve d’une susceptibilité maladive devant les diatribes (des chroniqueurs ont été incarcérés pour des propos jugés offensants envers le Premier ministre). On peut aisément constater une volonté manifeste, quoique douchée par certaines résistances, du chef de file des Patriotes de durcir son régime, d’«effacer» les hérétiques, d’uniformiser tous les points de vue, car, selon sa culture politique, le pluralisme démocratique n’est pas compatible avec le développement. En un mot, le pouvoir Pastef a passé une année à réprimer, avec une violence insoupçonnée, les voix qui lui sont hostiles, ce qui est inimaginable pour certains de nos compatriotes, puisque les tenants du pouvoir se sont toujours présentés comme des victimes de la répression sanglante du satrape déchu.
La liberté de la presse a été aussi constamment bafouée durant l’année 2025. Dès les premières heures de la révolution, les révolutionnaires ont déclaré la guerre à une certaine presse. Le président de la République lui-même a déterré la hache de guerre. Son Premier ministre (et ex-chef) lui a emboîté le pas. Des journalistes ont été brutalisés et arrêtés dans l’exercice de leur fonction ; une bonne partie de la presse est sevrée par l’Etat en toute illégalité ; le pouvoir a tenté de sélectionner les médias qui accompagneront le train-train de notre démocratie, mais en vain, puisque nous sommes dans un Etat de Droit en dépit de certaines injustices que l’on peut (et doit) dénoncer ; le chef du gouvernement a publiquement annoncé qu’il croisera le fer avec les médias qui voudraient lui nuire. C’est une institution fondamentale de notre démocratie que le pouvoir Pastef attaque depuis son avènement avec opiniâtreté. Et dans une société démocratique, quand les institutions sont vidées de leur substance, prononcer même le mot «démocratie» devient un abus de langage.
L’actualité politique, comme de coutume, a été chaotique. Nos compatriotes ont passé tout leur temps à épier, tels des veilleurs, les faits et gestes des deux têtes de l’Exécutif pour flairer la nature de leurs relations. On a senti à plusieurs reprises une imbrication des rôles qui ne dit pas son nom. Mais les slogans étaient là pour nous rassurer, pour nous dire que le pouvoir ne peut nullement briser une amitié forgée dans le sang et la douleur, pour nous enseigner doctement que la République, contrairement aux thèses orthodoxes et sceptiques des Cassandre, peut bel et bien être gérée suivant les règles informelles de l’amitié. Les défenseurs de l’entente voyaient naïvement tout en beau. Il a fallu une année de soubresauts et de déclarations va-t-en-guerre du Premier ministre Ousmane Sonko pour que le Président Bassirou Diomaye Faye montre -sans prononcer un seul mot- qu’il est le véritable titulaire du pouvoir politique, pour qu’il sente la nécessité d’avoir un sol plus ferme sous ses pieds en se dotant d’un appareil politique à même de porter ses futures ambitions -peut-être présidentielles. On a eu droit à des escarmouches inéluctables entre les deux hommes, et le duo se transforme lentement mais sûrement en duel, donnant ainsi à notre pays l’image d’un navire dirigé par mille et un timoniers. Les querelles politiques (la Présidentielle de 2029 empoisonne notre présent) ont pris le pas, hélas, sur les véritables problèmes de notre pays : l’atonie vertigineuse de notre économie, la cherté de la vie, le chômage des jeunes, la violence du patriarcat exercée sur les femmes, la menace jihadiste, etc.
L’actualité de notre monde continue d’être effarouchante dans tous les domaines. La guerre revient avec force dans nos mentalités, et la destruction du vivant est dans ce que la philosophie allemande appelle le Zeitgeist, à savoir l’esprit du temps ou l’épistémè. Quant à notre pays, l’année 2025 lui a rappelé ses pires traumatismes, surtout ceux des années 1980 ; et au regard des événements désastreux auxquels nous assistons, il est difficile d’imaginer que l’année 2026 sera meilleure, mais le fatalisme non plus n’est pas une panacée. De fait, l’année prochaine doit être celle de l’espérance, de l’éradication de la haine, du ressentiment, de la vengeance, des guerres picrocholines au sommet de l’Etat, pour se mettre sérieusement au travail, pour dépêtrer notre pays de cette atmosphère économique suffocante dans laquelle il patauge depuis le début de la révolution de Mars, car, je le répète encore une fois, seuls des résultats économiques concrets peuvent garantir à long terme notre contexture sociale.
Par Baba DIENG
from Lequotidien – Journal d'information Générale https://ift.tt/p3Xk4Da
Commentaires
Enregistrer un commentaire