Au cœur de l’université Cheikh Anta Diop, l’attention des étudiants est attirée depuis quelques jours par la sculpture et l’installation de l’artiste sénégalais, Ousmane Dia, «Ni Barsa ni Barsak». Pour sa première participation à la Biennale de Dakar, il s’est approprié l’espace universitaire pour dialoguer avec la jeunesse du pays.
Par Mame Woury THIOUBOU – En choisissant de planter une sculpture au cœur de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), Ousmane Dia a certainement atteint son objectif de discuter avec la jeunesse du pays. Depuis que la haute structure a émergé au rond-point de la Faculté de droit, le défilé est incessant. Les étudiants, curiosité en bandoulière, auscultent la structure métallique sous toutes ses formes. Certains sacrifient même au rituel du selfie. Et ce mercredi, nombre d’entre eux ont pu discuter de vive voix avec l’artiste. Après la discussion, une photo de groupe pour sceller l’entente ou plutôt la convergence des idées. Dans le cadre de la 14e édition de la Biennale de Dakar, le programme Doxantu ramène l’art au cœur des places publiques. Et pour Ousmane Dia, ce sera dans l’espace universitaire où l’œuvre est destinée à rester, à en croire le Recteur, Amadou Aly Mbaye. Une appropriation qui prend son sens dans les mots et le texte qui l’accompagnent. «On a un socle qui fait 4m de diamètre, on a une pirogue qui est en train de sombrer. J’ai capté ce moment précis où la pirogue commence à s’immerger. Il y a le sauve-qui-peut, beaucoup de personnages autour qui vont dans tous les sens et, en haut de la pirogue, j’ai mis un enfant et un adulte. L’un pointant le doigt vers l’Occident et l’autre, vers l’Afrique. Et ce sont des doigts accusateurs», explique l’artiste. Cette œuvre d’une hauteur de 4m 65, évoque les noms de ces milliers de jeunes dont la vie s’est achevée tragiquement dans les flots de l’océan. Parlant de l’œuvre, le commissaire Massamba Mbaye indique qu’elle explore le drame sans fin de ces mères dont les enfants sont partis à la recherche d’un ailleurs meilleur. «L’artiste saisit ainsi ce moment précis où la pirogue de migrants est à demi submergée. Par un jeu d’accumulations et d’entrelacs, il restitue, avec la puissance d’évocation du métallique maîtrisée, ce moment d’effroi. La clameur s’échappe de sa sculpture. Elle se prolonge en écho dans nos consciences. Aucun trait n’est visible et lisible. Ses personnages ont des têtes-chaises. La chaise est une symbolisation du pouvoir, du pouvoir de l’intellect sur la destinée du corps. A la place des chaises, des visages prennent forme, glacés de peur. Il ne reste plus que la stupéfaction après des jours de souffrance surmontés par l’espoir», écrit-il à propos de l’œuvre.
D’ailleurs, l’artiste ne cache pas sa colère dans cette œuvre. Il la proclame à la fois dans le métal figé de ces structures mais aussi par ses propos : «Je me dis que si on se retrouve dans cette situation qui perdure, c’est que nos autorités y ont une grande part de responsabilité. Mais l’Occident aussi.» A quelques encablures, l’installation des «343» ne passe pas non plus inaperçue. 343 est le résultat de l’opération 7x7x7 et renvoie à un article du texte fondamental de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. Cette infinité de silhouettes assises à même le sol et ressemblant à des chaises est une interpellation sur l’inégalité des chances dans ce monde.
C’est à la veille du lancement de la biennale que le vernissage a eu lieu. Sous les notes d’un quatuor calebasse kora flute et guitare qui a enchanté l’assistance, le Recteur de l’Ucad a rappelé que la culture est indissociable de l’université. «C’est un cadre naturel d’expression de tous les talents, y compris les talents artistiques.» Bien après la fin de la biennale qui s’achève le 21 juin prochain, Ni Barsa ni Barsak continuera d’alimenter les réflexions et débats au sein de l’espace universitaire.
mamewoury@leuqotidien.sn
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