Reportage – Quartiers à proximité de la décharge de Mbeubeuss : Le mal de l’air

Beaucoup pensent que Mbeubeuss profite aux riverains grâce aux activités de récupération qui y sont pratiquées. Dommage que cela ne soit que des préjugés, estiment les responsables des quartiers environnants contraints de respirer un air pollué par la fumée. Mbeubeuss constitue plutôt, disent-ils, un désastre écologique et sanitaire.

Par Alpha SYLLA – Mbeubeuss, le dépotoir d’ordures de tous les habitants de Dakar, est une «catastrophe écologique et une bombe sanitaire pour les riverains». Mais comment ? Chaque jour, ce sont des centaines de camions qui entrent dans Mbeubeuss. A bord, des déchets en tous genres. Ces immondices sont déversées sur le site autour duquel se sont implantées des populations ayant fui, pour certains, la cherté de l’habitat de la capitale. «Chaque jour, c’est cette calamité environnementale et surtout sanitaire que nous vivons. A cause de Mbeubeuss, notre quartier peine à décoller», déclare, outré, Baye Diop. Ces dernières années, de nouvelles cités sont sorties de terre pour décongestionner Keur Massar. Sans se soucier de la dégradation de l’environnement, notamment la détérioration de la qualité de l’air.

Malgré une proximité géographique que certains quartiers entretiennent avec la décharge d’ordures de Mbeubeuss, il n’existe quasiment pas d’infrastructures sociales de base pour couvrir les populations des dangers que représente Mbeubeuss, à en croire nos interlocuteurs. Des analyses et enquêtes ont montré que l’air, dans les environs de Mbeubeuss, reste très pollué à cause de la fumée insoutenable que dégage le feu, alors qu’il continue d’accueillir chaque jour des centaines de camions, camions-bennes, charrettes venus déverser toutes sortes d’ordures. Des ordures qui ont fini d’envahir notamment les quartiers de Diamalaye 2 et de Todba. Dans ces localités aux multiples doléances, les habitants ne cessent de déplorer le «manque de soutien de l’Etat» vis-à-vis des populations. «Depuis trente-huit ans, nous sommes là et nous vivons dans ces conditions très précaires. Vous ne verrez presqu’aucune infrastructure sociale de base dans le quartier. Pas de route, pas de voirie, le centre de santé est prêt depuis plus de deux ans, mais jusqu’au moment où je vous parle, On ne l’a pas inauguré», peste Ibrahima Sow, délégué de quartier de Diamalaye 2.

Sur le long de la décharge, gargotiers, boutiquiers et tabliers, installés à l’entrée du site et le long des quartiers, expriment leur inquiétude quant à la situation. Bien que tirant une partie de leur revenu de ces activités pratiquées dans et aux alentours Mbeubeuss, ces gens craignent tout de même des dangers de cette vidange d’ordures liés à leur santé. Des enfants ne quittent pas la décharge, insouciants et inconscients des risques sanitaires qui pèsent sur eux. «Presque tout le quartier est malade, à commencer par moi. Je suis asthmatique, je tousse tout le temps avec tous les dangers de respirer l’air pollué», déplore le délégué de quartier Diamalaye 2. Des problèmes liés à la respiration à cause de l’air pollué par la fumée, et l’eau consommée potentiellement liée à la pollution de la nappe phréatique sont fréquemment diagnostiqués. «Souvent quand les populations viennent pour des consultations, on constate que certaines d’entre elles ont des problèmes pulmonaires, c’est-à-dire des maladies respiratoires comme l’asthme, et des problèmes diarrhéiques» avait estimé, sur le site marocain d’informations Le 360, Saliou Thiam, infirmier-chef de poste de santé de Malika, commune abritant la décharge de Mbeubeuss.

Mbeubeuss, une zone d’insécurité
Au-delà des risques liés à la vie sanitaire de ses habitants, les quartiers Diamalaye et Todba sont souvent décrits comme des zones d’insécurité. La décharge serait un refuge pour «délinquants» qui ne manquent pas de commettre des forfaits quand l’occasion se présente. «Todba est issu de Diamalaye 2. C’était un gigantesque quartier. Mais je peux vous dire qu’on a eu à constater très souvent des actes de vol, d’agression et autres. Nous sommes dans une zone d’insécurité à cause de la décharge», déclare Ibrahima Sow. «Toutes sortes de bandits vivent sur ce site», corrobore Fatou, une habitante de Todba. «Les retombées liées à l’activité des récupérateurs cachent mal les difficultés auxquelles nos populations sont confrontées. La situation sécuritaire est aussi préoccupante. Le banditisme juvénile émerge dans les quartiers de Todba et de Diamalaye, et ce sont les populations qui en paient les frais», complète Dame. Avant de poursuivre: «Ce déficit d’infrastructures fait qu’une grande partie de la population engage et paie des charretiers pour jeter les déchets ménagers. Même les salles classe de notre unique école sont saturées. L’éclairage public est défectueux ou inexistant dans certains coins des quartiers et souvent les taximen sont très réticents à l’idée de circuler la nuit dans le coin à cause de l’insécurité grandissante.» «Avant, quand nous avions un malade, on le mettait sur une charrette pour l’évacuer avec tous les risques que cela entraîne. Mais depuis quelque temps, le délégué a réceptionné un véhicule pour permettre de faire les courses urgentes. Les plus démunis ne paient même pas le gasoil. Nous n’avons, pour le moment, reçu aucun accompagnement de la part de la mairie ou de l’Etat, pourtant informés de nos mauvaises conditions de vie», confie une habitante de la localité rencontrée aux abords de la décharge.

En attendant l’arrivée chez eux, des œuvres sociales des pouvoirs publics, les populations de Diamalaye 2 et de Todba vont devoir prendre leur mal en patience… Trouvé au domicile du chef de quartier, en cette matinée du 15 novembre, Baye Diop, par ailleurs adjoint du délégué de quartier de Diamalaye 2, collé à Mbeubeuss, narre : «Le président et toute une délégation sont venus ici lancer ce fameux Promoged. Pour les prises de parole, notre délégué de quartier a même été zappé. Tout le monde a parlé de ses doléances et magnifier le projet, sauf nous les habitants de Diamalaye. Mais depuis lors, rien n’a changé. On vit toujours avec les ordures et leur odeur ambiante. D’ailleurs, dans une grande partie des quartiers, on engage et paie des charretiers pour jeter nos déchets ménagers, alors que toutes les ordures de Dakar sont acheminées à nos portes. C’est injuste. Le problème en est qu’ils ne disent pas la vérité au président de la République».

Une bombe sanitaire et un frein au développement du quartier
Dans le but de cerner l’épineuse question de la gestion des ordures, le chef de l’Etat a, lui-même, lancé sur le site de Mbeubeuss, en juin 2021, le projet de Promotion de la gestion intégrée et de l’économie des déchets solides (Promoged) dont l’objectif principal reste la consolidation de la gouvernance locale des déchets et l’amélioration de la gestion des déchets solides. Seulement dans les quartiers aux environs de Mbeubeuss, à Diamalaye et Todba, la réalité reste inchangée. Les structures chargées de la gestion des ordures et de l’amélioration du cadre de vie n’ont eu, pour le moment, aucun impact sur la vie des populations.

Il faut savoir que c’est en 1968 que l’Etat du Sénégal a décidé de mettre un site de dépotoir provisoire d’ordures dans la région de Dakar, précisément à Mbeubeuss, dans la commune-arrondissement de Malika, située dans le département de Keur Massar. Plusieurs décennies après, Mbeubeuss continue d’accueillir les déchets solides, managers et industriels de plus de trois millions de personnes vivant dans la capitale sénégalaise. Au fil des années, la décharge de Mbeubeuss a ôté pas moins de cent hectares de superficie au lac du même nom. Ainsi, en 2015, le gouvernement a enterré l’idée d’une délocalisation de cette montagne d’ordures, pourtant émise depuis plusieurs années. Il va s’agir plutôt de trier, recycler et composter les déchets. Dès lors, l’Unité de la coordination de la gestion des déchets solides (Ucg), structure visant à remplir cette mission, est mise en place en 2011, suscitant ainsi beaucoup d’espoir de la part des écologistes et populations riveraines. Elle est suppléée en juin dernier par la Société nationale de gestion intégrée des déchets (Sonaged).
Stagiaire

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